Jérôme se laissa entraîner dans la rue par une silhouette familière, celle d’un chien. Un écho vivant de l’animal qui trottait dans les labyrinthes de son imagination, depuis que son patron lui avait commandé une figurine destinée aux rayons des magasins de jouets du monde entier. Par un curieux hasard, ce même chien, devenu son modèle, le conduisit jusqu’à son maître, un collectionneur passionné. Ce dernier, remarquant l’intérêt de Jérôme pour le jouet, lui ouvrit les portes d’un monde insoupçonné : celui des Kaijus, ces créatures japonaises aux allures monstrueuses. La découverte éveilla une nouvelle flamme et une curiosité mordante chez Jérôme, qui l’incita à plonger dans cet univers fantastique. Bientôt, il se mit à collectionner ces monstres, les laissant envahir son intérieur et nourrir son imaginaire, jusqu’à ce qu’ils deviennent eux-mêmes les modèles de ses créations.
Dans sa petite maison ouvrière de Noisy-le-Sec, Jérôme se forge peu à peu un monde dystopique. Il quitte son job de sculpteur dans une firme de jouets industriels, laissant derrière lui ses figurines de princesses. Son atelier, niché au sous-sol de la maison, est devenu un sanctuaire où règnent perturbation et tumulte. Les fours ronflent et les étagères en bois qui bordent l’espace se couvrent de fragments de corps : têtes, bras, jambes et torses, patientent dans l’attente de leur assemblage. De ce chaos naît la forme, chaque élément se transformant en d’étranges créatures colorées sous les mains de l’artiste.
Jérôme Saunier donne ainsi vie à un bestiaire fantastique peuplé de personnages hybrides et polychromes, inspirés de ses figurines japonaises devenues fétiches et nourris par l’imaginaire de son enfance.


— Lucas Djaou